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01 mai 2017

Témoignage d'ancien: François TOURET-DE COUCY

J’ai été bénévole au Genepi pendant deux ans (1984-1985), à la maison d’arrêt des Yvelines (Bois d’Arcy), une après-midi par semaine, pour y animer un cours de droit pénal. J’ai aussi été responsable du groupe des intervenants lors de la deuxième année de mon engagement.

J’étais alors étudiant 2ème année de DEUG et en licence en droit à l’université Paris II. C’est d’ailleurs à l’université que je suis tombé sur une affiche qui m’a incité à aller voir les responsables nationaux de l’époque. Mais, à l’origine de cette implication, on retrouve aussi une rencontre avec Thaddée In [un étudiant qui a vécu dans un village de résistants Khmer Rouge de la jungle cambodgienne, NdlR] notamment, décédé depuis, dont la personnalité forte et bienveillante m’avait marqué.

Je recherchais alors une activité « qui donne du sens à ma vie » et qui soit aussi un peu excitante. Approcher le monde carcéral me semblait une expérience extraordinaire. Intervenir au Genepi, c’était côtoyer des délinquants tout en étant du bon côté. Faire un geste d’ouverture et de rencontre, tout en étant en sécurité ; fréquenter la marginalité, la misère sociale et la détresse humaine, tout en étant protégé par le cadre et un investissement personnel somme toute limité.

La maison d’arrêt des Yvelines était, il y a trente ans, un établissement moderne, très oppressant, avec un long couloir souterrain, des portes automatiques qui claquent, des caméras, un noyau central entouré de barreaux. Les cages d’escalier étaient également entourées de barreaux. Un surveillant enfermé dans une cage au milieu du noyau actionnait les portes à distance. Malgré toute cette modernité aseptisée, il y a avait des cris qui fusaient. L’odeur était particulière, à la fois rance, renfermée et sentant le produit de nettoyage. C’était incroyable et effrayant. Au milieu de tout cela, il y avait des humains, surveillants et détenus. En une fraction de seconde, je cernais si je trouvais une personne sympathique ou pas. La bienveillance, la sérénité de certains surveillants sautaient aux yeux ; la mauvaise humeur ou la mauvaise volonté d’autres également. Je savais que pour obtenir des choses, il fallait être gentil avec eux, les comprendre, compatir à la rudesse de leur tâche. La catastrophe était d’arriver au moment des mouvements. Alors, tout était bloqué.

Mon engagement au Genepi s’est terminé par la création, en septembre 1985, avec Stéphane Marcinak d’une autre association, CLIP 2000 – qui s’appelle désormais CLIP (Club informatique pénitentiaire), qui forme les détenus à l’informatique.

Les responsables du Genepi de l’époque ont un été un peu embarrassés par cette initiative qui pouvait être concurrente (je disais « complémentaire », pour être diplomate). Ils nous ont bien soutenus néanmoins. Nous avions de grandes ambitions : former les détenus, leur faire préparer des diplômes, avoir une approche réellement qualifiante, leur donner du travail.

CLIP 2000 a été une aventure extraordinaire. Stéphane Marcinak et moi avons tout donné, jusqu’à prendre le statut d’objecteur de conscience, pour effectuer notre service national, encouragés par Myriam Ezratty, alors directrice de l’administration pénitentiaire. Mais, son successeur, Arsène Lux, ne voulait pas entendre parler d’objecteurs de conscience intervenant dans les prisons. Nous lui avons proposé d’abandonner notre statut pour finir notre service national comme appelés du contingent, à condition d’être détachés à temps plein à CLIP 2000, comme l’étaient les permanents nationaux du Genepi à l’époque. Peu importait notre étiquette, nous voulions poursuivre notre action en prison. Nous avons commencé l’action de CLIP à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy.

Le Genepi et CLIP existent toujours. Il y a donc de la place pour deux et pour beaucoup d’autres intervenants en prison !

A la suite de ces années d'implication, je n’en conserve que des points positifs. Je n’ai jamais eu l’impression d’être altruiste en faisant ces activités auprès des détenus. J’étais enthousiaste, motivé, porté par ces projets. J’avais l’impression de faire de grandes choses, de changer le monde à mon niveau. J’aimais côtoyer les personnels de direction, les surveillants, les détenus, pouvoir discuter et échanger avec tous. Je ressentais une grande liberté personnelle. L’administration pénitentiaire m’a toujours étonné par sa souplesse et son aptitude à intégrer des apports extérieurs, malgré les contraintes de réglementation et de sécurité.

Un souvenir difficile, cependant : j’ai vécu un moment un peu désagréable lorsqu’un détenu m’a demandé de lui communiquer les coordonnées d’une avocate, au motif que c’était une connaissance. J’ai contacté cette avocate qui m’a annoncé qu’elle représentait la partie civile, victime de ce détenu, et qu’il était hors de question que ses coordonnées soient données au détenu. Je me suis senti manipulé et trahi.

Concernant ma vie professionnelle, l’expérience du Genepi et de CLIP 2000 a été déterminante pour mes premières embauches ; les recruteurs s’y intéressaient plus qu’à mon parcours académique ou à mes qualités supposées. L’engagement associatif est révélateur d’une personnalité et démontre des qualités d’organisation et d’implication dans le travail. Cela a beaucoup compté pour mon insertion professionnelle.

Je me suis éloigné de la justice durant quelques années pour m’occuper d’affaires européennes. Mais j’ai toujours gardé cet idéal de justice au fond de moi. J’ai postulé au recrutement sur titre comme auditeur de justice et ai été retenu avec le soutien des magistrats qui m’avaient connu lorsque j’étais au Genepi et à CLIP 2000. J’ai commencé comme juge des enfants et, au début, je me sentais responsable des situations qui m’étaient soumises et pensais que je pouvais avoir une influence décisive sur leur évolution. Au parquet, j’ai plus l’impression de jouer un rôle social, certes nécessaire, mais moins positif. A ceci près que les paroles tenues par le procureur pour rendre hommage à une victime vont toujours droit au cœur de celle-ci. Aussi, le procureur peut requérir une lourde peine sans humilier ni mépriser l’accusé, en lui reconnaissant même certaines qualités. Tout cela, c’est sans doute grâce au Genepi.

Concernant ma vie personnelle, j’ai vécu, grâce au Genepi et à CLIP 2000, des moments d’amitié très forts avec les autres intervenants. Même si j’ai perdu contact avec beaucoup d’entre eux, ils restent des amis pour la vie.

Aujourd’hui, je pense que j’aurais peut-être les mêmes idées sur le monde carcéral si je ne m’étais pas engagé au Genepi, mais cet engagement m’a donné une connaissance personnelle de ce milieu. La prison est à la fois très violente et très humaine. Par son inhumanité, la prison révèle l’humain de chacun. Les surveillants et les détenus sont dans le même bateau. Tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté essaient de faire en sorte que cela reste vivable et non destructif. Chaque étincelle de bonté saute aux yeux dans la nuit carcérale. Si les prisons tiennent, c’est grâce à la qualité des professionnels qui les gèrent au quotidien et à l’ouverture des prisons au monde extérieur.

La société, le monde, la vie sont injustes. Le savoir n’est pas l’accepter. Les déterminismes existent, même s’ils n’annulent pas la volonté individuelle. Nous sommes égaux en droit (encore faut-il se battre parfois), mais pas en santé, en amour, en bien-être, en protection ou en fortune. A cinquante ans, je suis moins idéaliste qu’avant, mais je reste positif. Les défis sont immenses, mais s’engager, c’est vivre !

 

François Touret-de-Coucy,
substitut général à la cour d’appel de Rennes

Ce témoignage a été recueilli par Les Anciens du Genepi, puis édité par le Genepi pour le numéro spécial du Passe-Murailles #60