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25 septembre 2017

Compte-rendu du dîner-débat avec Adeline Hazan

Le 16 juin dernier, l’association les Anciens du Genepi a organisé son premier diner-débat.

Pour cette occasion, elle a invité Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. La rencontre qui a eu lieu dans un restaurant du 5ème arrondissement de Paris a rassemblé près d’une trentaine d’anciens génépistes de toutes les générations ainsi que deux de nos amies de l’association Champs libre.

Adeline Hazan, magistrate et ancienne maire de Reims, nommée Contrôleure générale en 2014, a tout d’abord présenté les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), autorité administrative indépendante instituée par la loi du 30 octobre 2007. Le CGLPL est chargé de « s'assurer que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés et de contrôler les conditions de leur prise en charge ».

Au total, 45 pays dans le monde disposent d’un organisme plus ou moins équivalent, dépendant dans la plupart des cas du ministère de la justice. Mais le CGLPL est l’instance aux champs de compétence le plus étendu. En effet, hormis les établissements pénitentiaires, sa compétence s’étend à la situation de toutes les personnes privées de liberté par une autorité publique (locaux de garde à vue, dépôts de tribunaux, centres éducatifs fermés, zones d'attente, centres de rétention administrative, secteurs psychiatriques des centres hospitaliers (hospitalisation sans consentement)...

Doté d’une équipe d’environ 50 personnes dont une vingtaine de contrôleurs permanents et des contrôleurs extérieurs, le CGLPL porte son attention à l’ensemble des droits fondamentaux : droit à la vie, à l’intégrité physique, la santé, l’éducation, le maintien des liens familiaux, l’expression collective, l’exercice du culte…

Ses interventions s’effectuent en premier lieu par le traitement de saisines individuelles (environ 4000 courriers traités par an) de personnes qui l’informent d’une situation portant, selon elles, atteinte à leurs droits fondamentaux ou aux droits fondamentaux d’une personne privée de liberté.

Elles reposent par ailleurs sur des visites d’établissements (environ 150 différents par an) au terme desquelles la Contrôleure générale remet dans un premier temps un rapport provisoire (suivi d’un recueil des observations de l’établissement) puis un rapport définitif remis au(x) ministre(s) concerné(s) : intérieur, justice, santé.

Lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, le CGLPL peut saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre (recommandations en urgence) comme cela a notamment été le cas s’agissant de la situation des établissements pénitentiaires des Baumettes en 2012 (dénonciation de l’état de vétusté et sanitaire), plus récemment de Strasbourg et Fresnes (fin 2016) ou du centre psychothérapique de Bourg-en-Bresse (modalités de prise en charge de personnes qui étaient isolées et attachées).

Ces recommandations ont abouti par exemple à la décision d’engager un programme de reconstruction du centre pénitentiaire des Baumettes ou l’intégration dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 d’un article encadrant les procédures de prise en charge des personnes dans les hôpitaux psychiatriques.

A la suite de sa présentation, Adeline Hazan a répondu avec précision et une grande disponibilité aux nombreuses questions des participants. Dans une ambiance fort sympathique et interactive, les échanges ont été très riches accompagnés de témoignages d’anciens génépistes en lien pour certains avec leurs activités professionnelles ou associatives actuelles en rapport avec la prison (directeur des services pénitentiaires d’insertion et de probation, travailleur social, visiteuse de prison...).

Ces échanges ont porté notamment sur les sujets suivants qui ont donné lieu à des avis, rapports ou recommandations mentionnés en particulier dans le dernier rapport annuel du CGLPL remis en mars 2017.

-la surpopulation carcérale (plus de 70000 personnes incarcérées au printemps 2017 ce qui constitue un record avec un taux d'occupation de 141% dans les maisons d’arrêt et dépassant les 200% dans certains établissements de grands centres urbains (Fleury-Merogis, Villepinte..) et d’outre-mer. Combinée à la vétusté de plusieurs prisons, cette situation est jugée par le CGLPL comme étant attentatoire à la dignité des personnes détenues, facteur de violences, constituant un traitement inhumain et dégradant (au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme) et portant atteinte aux conditions de travail des surveillants (1 pour 100 détenus). Selon Adeline Hazan, du fait de la surpopulation pénale, la prison ne peut plus assurer dans de bonnes conditions la mission de réinsertion que la loi lui assigne ;

-la question de l’équilibre à préserver entre le respect des droits fondamentaux et les exigences de la sécurité, avec les conséquences sur les droits et les libertés individuelles de certaines dispositions de lois récentes s’inscrivant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (loi du 13 novembre 2014 créant un délit d’entreprise terroriste individuelle ; loi du 3 juin 2016 portant notamment sur l’élargissement des conditions et de la durée de la période de sûreté et sur la libération conditionnelle) ;

-la nécessité d’avoir une réflexion sur le sens des très courtes peines de prison, leur impact en termes de désocialisation et in fine de réinsertion ; corrélativement, l’importance de promouvoir les peines alternatives à la prison considérées comme particulièrement insuffisantes ;

-l’importance dans le cadre des programmes de construction de nouveaux établissements d’inscrire la prison dans la ville (d’un point de vue pratique et symbolique) de façon à faciliter la vie de tous et à encourager les partenariats ;

-la situation particulière des femmes incarcérées (3,2% de la population carcérale, avec des quartiers isolés, un manque d’activités dédiées et des problèmes d’accès à la santé) ;

-la psychiatrie en prison avec le constat d’une part significative de personnes souffrant de troubles graves qui selon le CGLPL ne devraient pas avoir leur place en prison ;

-les questions posées par le respect du droit de vote pour les détenus (inscription sur les listes électorales, nécessaire présence d’intervenants extérieurs dans le cadre de l’installation de bureaux de vote publics au sein des établissements pénitentiaires…) ;

-le sujet du travail en prison : Adeline Hazan est ainsi favorable à l’instauration d’un droit du travail pénitentiaire.

En conclusion, selon Adeline Hazan, si plusieurs lois récentes (loi pénitentiaire Dati du 24 novembre 2009 et loi Taubira du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales) ont permis des avancées en terme de reconnaissance de droits fondamentaux des personnes incarcérées, ces dispositions se traduisent difficilement dans les faits et la réalité de la vie quotidienne des établissements. C’est notamment le cas en matière de santé (un an pour obtenir un RDv avec un dentiste par exemple).

A l’issue de cette rencontre très intéressante dont nous remercions chaleureusement Adeline Hazan, nous sommes convenus de l’utilité de se retrouver régulièrement pour des temps d’échange comme celui-ci.

Pour tous ceux qui souhaitent en savoir plus et accéder aux rapports, avis et recommandations du CGLPL, il est possible d’aller sur le site :

www.cglpl.fr

Rendez-vous par ailleurs les 17 et 18 octobre 2017 pour les 10 ans de cette autorité administrative indépendante essentielle au respect des libertés individuelles.

 

Eric Lenoir