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En souvenir de Robert BADINTER
Article rédigé par Gérard de MOURA, Président du GENEPI, 1982-1983
En 1984, au prétexte que le GENEPI fêtait ses dix ans (l’association fut créée en 1976 mais l’activité débuta expérimentalement en 1974), une audience fut accordée par le Ministre de la Justice à notre délégation. Nous étions quatre, les deux permanents (alors appelés du contingent) et leurs deux prédécesseurs, dont j’étais, à nous présenter Place Vendôme, quelque peu impressionnés. Nous fûmes reçus dans le bureau du Garde des Sceaux, où brillent les ors de la République (et ceux de l’Ancien Régime).
L’entretien, qui avait été préparé avec Jean FAVARD, conseiller technique chargé de l’administration pénitentiaire au sein de son cabinet, consista pour l’essentiel à présenter au Ministre les activités de l’Association, dans le but d’obtenir son appui auprès de l’AP pour développer nos activités (nous étions à l’époque probablement 300 ou 400). Il nous encouragea à poursuivre nos efforts tant pour développer notre présence en support des actions de formation que pour témoigner auprès de la population de la réalité du monde des prisons.
Il n’eut pour nous qu’une question qui résonne encore dans ma mémoire : il voulait que nous lui disions sans filtre (nous étions jeunes et indépendants !) ce que nous percevions de la vie quotidienne dans les prisons. Cela le préoccupait en effet, comme le montrèrent plusieurs de ces décisions de Ministre prises dans ces années et qui furent sujettes à tant de polémiques : parloir libre permettant le contact physique, télévision en cellule… La presse salue à juste titre l’homme de l’abolition de la peine de mort et de la dépénalisation de l’homosexualité, mais il fut aussi un Ministre très soucieux par l’état de nos prisons et les conditions de vie qui y régnaient.
Je n’ai malheureusement pas le souvenir de ses propos le jour de notre audience, et nous n’avions pas eu la présence d’esprit de prendre des notes en sortant ! Mais j’ai retrouvé dans une interview qu’il donna à Télérama (le 21 janvier 2009) des mots qui s’en rapprochent et gardent leur actualité, ce qui est bien dommage : « Il y a, en France, une indifférence multiséculaire à la condition carcérale. Quand j'étais garde des Sceaux, j'ai multiplié les efforts pour humaniser les prisons. (…) Et à chaque fois que j'ai pris une mesure en faveur des détenus, la réaction du corps social était négative. (…) A cela s'ajoute un problème spécifique à la France, celui de la détention dans les maisons d'arrêt, qui sont surpeuplées. Certains établissements sont remplis à 200 % ! Trois personnes, voire quatre, vivent ainsi dans une cellule de 10 mètres carrés ! Comment assurer le respect de l'intimité, de la dignité des détenus dans ces conditions ! Comment voulez-vous préparer la réinsertion dans une telle promiscuité, quand se mélangent jeunes délinquants et multirécidivistes ? ».
Notre pays vient de perdre une voix, puissante et raisonnée, qui, dans tous ses combats, nous rappelait à notre devoir d’humanité. Je forme le vœu que, dans nos engagements d’aujourd’hui, et en particulier dans le développement de REBOND, nous nous fassions les porte-voix de ce message qu’il nous laisse en héritage. Merci Monsieur BADINTER.
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