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08 mars 2024

Il était une fois Robert Badinter

Article rédigé par Augustin Vanderchmitt, Rebondiste, Sciences-Po, Paris-La Santé - 2023/2024

Il était une fois Robert Badinter. Aujourd'hui l'impensable est devenu réalité : le Sage a été rattrapé par la mort. LIncrédulité nous frappe face à lannonce redoutée, tant lancien Garde des Sceaux semblait continuer son combat éternel contre le trépas, tout un symbole.

Bien plus que lhomme de lAbolition, il était la mémoire ambulante dune justice tueuse : de Vichy à lintemporel discours du 17 septembre 1981. La « vie », toujours dans le sillage dun souffle. Cette « vie », pour lui, fils de déporté, qui a été sauvé avant d'être celui qui sauva. Sa « vie », son combat, son œuvre, son héritage.

Ambitieux, séducteur, charismatique, cest dabord sous la robe, que le jeune Maître Badinter va défrayer la chronique, et surtout déchainer les passions. Sillonnant la France au péril de son intégrité physique, surgissant au moindre prétexte pour « défendre lindéfendable » : pendant dix ans, il plaide sans relâche. De tribunaux hostiles en acquittements inespérés, le « Commandeur » combat lordre de la vindicte populaire, des foules chauffées à blanc ayant trop longtemps trouvé refuge dans les salles daudience. Un jour le « parigo », le lendemain « tueur denfant », ses détracteurs lattendent nombreux devant les Palais de Justice. Blessés, trahis, perdus dans la douleur de lincompréhension de ses plaidoyers, obnubilés par un voile de tristesse, de colère et de ressentiment : laccusation ne voulait pas comprendre, elle ne pouvait pas comprendre.

Mais aujourd'hui cest « le ténor », le « juste entre les justes » et nombreux sont ceux qui désormais lattendent devant les portes du Panthéon, dernière demeure des grands de ce pays. Néanmoins, son œuvre ne réside pas là.

Patrick Henry en 1977, Jean Portais en 1979, Philippe Maurice en 1981, tous reçurent, un par un, la visite de Robert Badinter et tous, un par un, eurent la vie sauve. Coupables oui, mais humains avant tout. Animé par sa foi inébranlable de l’Être, il gardera en permanence dans un coin de la tête une conviction : « le droit de devenir meilleur », une devise qui ne le quittera jamais. Il a fait sienne cette maxime au détour du claquement sec de l’échafaud, un matin de novembre 1972; où cest meurtri mais déterminé quil est sorti de l'exécution de Roger Bontems, 36 ans, à qui il avait promis la vie sauve. C'était ça aussi Robert Badinter, le souvenir de tous ceux qui ne se sont jamais échappés de l'ombre de la guillotine.

Méticuleux, exigeant, mais aussi attendri, cest aussi sous la casquette de professeur quil aura servi ses idéaux,formant des générations entières aux principes juridiques. Juriste hors-pair, amoureux du droit, il se réinventera toute sa carrière pour agir au plus proche de sa passion. Un temps défenseur des personnes détenues, mais également grand artisan de la décriminilisation de lhomosexualité, il exerce tour à tour les plus hautes fonctions au sommet de l’État en tant que Ministre de la justice (1981-1986), Président du Conseil constitutionnel (1986-1995) et sénateur (1995-2011).

Sur quatre décennies, Robert Badinter aura bouleversé lactualité politique et juridique de notre pays, par sa détermination et son patriotisme chevronné. Bercés que nous sommes par ses récits, adoubés par ses mots, lhumilité de sa plume a indéniablement initié quantité de vocations pour gagner le parquet et poursuivre ce qui lanimait : la quête dune justice plus humaine au service dun idéal universaliste.

Après Simone Veil et Gisèle Halimi, respectivement disparues en 2017 et 2020, cest une autre Lumière incarnant les acquis sociaux du XXème siècle qui s'est éteinte vendredi. Alors oui, il était une fois Robert Badinter, mais il était aussi une fois l’échafaud. Alors à nous de porter son œuvre vers l'éternité pour que les Bontems de ce monde ne soient plus que des souvenirs lointains.

Et quelle meilleure sortie pour clore une vie que d’évoquer son leg et dincanter la prochaine génération en utilisant ses propres mots, ceux que Monsieur Badinter avait si brillamment prononcés par deux fois en octobre 2022 devant un amphi Boutmy incandescent : « Bonne chance les enfants » ! Le relai était lancé, à nous de jouer !