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Confinement: Interview Emilie Piouffre

28 juillet 2020 Association
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D’abord psychologue stagiaire dans un SMPR (une antenne d’hôpital psychiatrique à l’intérieur d’une prison), puis en poste en milieu carcéral dans le cadre du parcours d’exécution des peines, Emilie Piouffre achève actuellement une thèse de recherche psychopathologique sur le mal être et le suicide des personnels pénitentiaires, tout en menant parallèlement une activité de psy libérale à domicile. De quoi avoir une certaine expertise sur le concept d’isolement… Et de confinement.

 

Certains vivent le confinement comme un emprisonnement. Cela vous choque ?

Je pense qu’il y a des parallèles qu’on ne peut pas faire. Ce n’est pas la même chose d’être confiné, et être un numéro d’écrou, de n’avoir plus de responsabilité, d’être enfermé 22h/24 en cellule à trois dans 9 m2 dans des conditions d’hygiènes douteuses. Et puis ce qui est différent c’est que l’on met les gens en prison pour protéger la société. Le confinement, c’est le contraire : on restreint notre liberté en mettant en avant que c’est pour nous protéger.

Le paradoxe c’est que d’habitude, prendre soin des siens, c’est être à proximité. Mais là, c’est s’en éloigner. Je préfère d’ailleurs parler de ‘distanciation physique’ comme Roland Gori que de ‘distanciation sociale’, parce qu’avec le téléphone, Skype, les réseaux sociaux, il n’y a pas de distanciation sociale : on peut être en contact avec nos proches.

 

Quels sont les répercussions psychologiques sur les patients que vous visitez ?

Des symptômes de dépression, du désespoir : du stress, de la fatigue émotionnelle, de l’anxiété, de l’inquiétude. Certains ressentent les symptômes d’un état fébrile sans avoir de la fièvre : pour d’autres, le fait d’aller faire les courses représente une épreuve. D'autres, au-delà de la peur d’avoir été exposés à la maladie, souffrent de l’éloignement du milieu professionnel, de ne plus pouvoir exercer leur activité, de perdre des revenus, de voir leur emploi menacé. Il y a aussi beaucoup de colère et d’ennui. Et là, attention à la consommation de produits pour faire face ou tromper l’ennui, drogue ou alcool, facteurs de passage à l’acte. Si ça ne va pas, on se fait accompagner, il y a des numéros verts de prise en charge psychologique mis en place par le gouvernement, mais il y aussi toutes les lignes d’aide et d’écoute, SOS Amitié, SOS Suicide, qui sont toujours actives, gratuites et anonymes.

 

N’y a-t-il pas un risque de voir des pathologies gérables en période normale de mobilité qui pourraient devenir problématiques à la longue ?

Effectivement le confinement peut aggraver des situations de détresse ou de souffrance pathologiques. On peut donc redouter des suicides pour des gens qui ont une santé mentale fragile, il y a un risque que ça constitue un élément déclencheur de ne plus voir les quelques personnes qu’elles ont l’habitude de voir, ou de ne plus avoir de règles claires. On voit bien que le gouvernement tâtonne, donc c’est important de répéter encore et toujours l’objectif du confinement, et d’être le plus précis possible dans la communication.

 

Que conseillez vous à vos patients, pour traverser au mieux le confinement ?

Ce sont des conseils que je donnais en milieu carcéral, et que là, j’applique aussi à moi-même : donner du sens à ce qu’on vit, de ne pas laisser ce temps vide. Rythmer ses journées, organiser une routine, prendre le temps de faire des choses qu’on n’avait pas l’habitude de faire, prendre soin de soi, être son propre allié. Finalement ça nous permet de changer notre rapport au temps et à l’urgence, on se rend compte que ce n’est pas l’argent et la productivité qui compte mais sauver sa vie et celle des siens. Ce n’est pas du tout la même temporalité. On peut se dire aussi que l’on fait un acte d’amour plus grand que soi en restant chez soi. Ça peut aussi entraîner un sentiment de cohésion, et d’appartenance sociale. Il y a un sentiment d’équité. Même le président est confiné. On est tous confinés. On est deux milliards d’êtres humains confinés. C’est une expérience extraordinaire. Ça bouleverse très rapidement toutes les manières de se représenter le monde, l’espace, la vie, le rapport aux autres. On est en face de quelque chose d’impensé à la fois au niveau social et subjectif. Pour le vivre bien et arriver à transformer cette expérience, il faut y donner du sens. J’espère qu’il y aura un avant et un après, que ce virus nous servira d’alerte pour dire ‘arrêtons de vivre comme nous vivons’.

 

Le président, il a eu raison de parler de guerre ?

Nombre de médecins d’urgence sont en grève depuis 2019, la pénitentiaire aussi, pour demander des moyens pour exercer leurs missions. Le discours du Président du 12 mars était assez formidable de bienveillance et d’empathie, en nous disant que la priorité c’était la vie, l’humain, l’empathie, pour la première fois l’économie n’était plus une maîtrise des politiques publiques. C’était un beau discours, on aurait aimé que ça arrive plus tôt. On nous a dit d’aller voter et le lendemain, on est confinés. Il y a eu un double discours. Jusqu’au dernier moment alors qu’on était informés de ce qui se passait en Chine et en Italie, on nous a dit ‘ça ne viendra pas jusqu’à chez nous’. On était un peu dans le déni, finalement. Et alors, ce qui est étonnant, c’est qu’après avoir parlé de guerre, le président met en place une opération militaire qui s’appelle ‘résilience’ – ce formidable concept de psychologie inventé par Boris Cyrulnik qui signifie ‘aller au-delà de ses chocs traumatiques, les transformer en positif’. Alors la guerre, peut être que c’est à eux de la mener. Mais la résilience, c’est peut être notre travail à nous !




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